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Paroles d’auteur : qui êtes-vous Tang Loaëc ?

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Des hommes suspendus de Tang Loaëc est le 2e titre publié dans la nouvelle collection « L’Intime » dirigée par Anne Bert. Un roman inédit qui donne le ton d’une collection que veut rassembler les auteurs qui explorent les failles, ce qui perturbe et remue l’âme et les corps. 

Tang Loaëc, qui êtes-vous, quel est votre parcours en littérature ?

Je suis celui qui n’a jamais réussi à choisir entre la littérature et la vie. J’aime ouvrir des portes beaucoup plus qu’en fermer. J’ai rencontré des amis admirables qui ont construit leur vie pour se mettre en situation d’écrire. J’ai toujours couru au contraire, persuadé que pour écrire il fallait vivre, aller quérir les expériences qui nourrissent les écrits.

J’ai  donc vécu. Je n’avais pas prévu que pour apprendre à écrire, il me faudrait aussi fracasser quelques unes de mes vies. C’est venu par le travers. Cela m’a offert les fragments de verre un peu ensanglantés dont je fais des livres, cela m’a aussi appris que les cicatrices n’interdisent pas d’espérer.

Au bout du compte, je suis un outsider en écriture, comme dans tous les domaines de la vie. Parfois pourtant, je suis récompensé.

Pourquoi avez-vous choisi ce thème de la jalousie artistique et amoureuse pour ce roman ?

La jalousie fait tourner le monde. Qu’elle le fasse tourner de travers n’y change rien. Elle est un des moteurs intimes les plus puissants du fonctionnement humain. Que je me considère moi-même comme peu jaloux n’y change rien non plus. La jalousie n’en a pas moins prise sur ma vie, ne serait-ce que par celle que je peux générer chez autrui, à tort ou à raison. Et la jalousie n’est pas par nature raisonnable, c’est un monstre tapi au profond des hommes et des femmes.

Jalousie artistique et amoureuse, bien sûr, parce que ce sont des domaines par excellence passionnels. Ils réfutent toute rationalisation, la logique n’a que très peu de prises sur eux. Mais la jalousie ne s’arrête pas là. Elle envahit tous les registres de la vie, professionnelle par exemple, et même dans ces domaines où la raison devrait servir de compas, elle y échoue, parce que nous sommes, en tant qu’êtres humains, construits sur ce gouffre qui n’a peut-être pas de fond.

La construction de votre roman est celle du théâtre de marionnettes asiatique, d’ailleurs votre double culture française et chinoise marque votre texte, mais cette façon de mettre en scène la manipulation de vos personnages ne révèle pas autre chose ?

La manipulation est aussi au cœur de l’échange de pouvoir, cette émotion très sensuelle qui naît de la prise ou de l’abandon du contrôle, dans une relation sexuelle. C’est tout le thème de la Femme et le pantin de Pierre Louÿs. De la marionnette comme jeu de représentation artistique, on passe au travers cette image de marionnette-à-fil à la notion de domination, de perte de contrôle. La manipulation amoureuse est à la fois un jeu et le théâtre d’un combat féroce pour la possession de l’autre. Il y a cela aussi dans les poupées de Bellmer. Pourtant, ce jeu d’apparence pervers repose aussi sur un sentiment amoureux extrêmement fort, totalement sincère. Le contrôle et la manipulation sont un cri d’amour absolu et désespéré. Le fait qu’il puisse être destructeur ne retranche rien a la sincérité du sentiment, malheureusement sans doute. Être jaloux est aimer mal, mais rarement ne plus aimer, même si dans des cas que je méprise, cela peut arriver.

Les rapports entre l’artiste et son œuvre n’ont jamais été abordés en littérature. Ce que vous décrivez dans votre roman est  fascinant, terriblement charnel,  sexuel même, au rebord de la folie créatrice. Votre personnage Carrare est-elle folle ou simplement perverse parce que créatrice ?

Il y a deux dimensions à l’art : la recherche de la perfection et celle de la déraison. Depuis l’invention de la photo, la recherche de la perfection s’est vue porter un coup terrible, qui a amené des générations de peintres et de sculpteur à réfuter cette dimension jusqu’au non sens. Je crois que la réinvention de l’art passe par la capacité à assumer les deux dimensions à la fois, perfection et déraison. C’est en tous cas ce que Carrare poursuit et son amant aussi. Carrare tend à la folie pour l’art et son amant l’y rejoint par amour, non pas en la sauvant mais en l’affrontant. Est-ce que l’un d’entre eux est fou ? Pas à mes yeux. Il faut certainement tenter de les arrêter avant qu’ils ne fassent plus de dégâts (lisez le roman pour ça), mais ils s’inscrivent totalement dans leur passion. La déraison passionnelle n’est pas la folie, elle est une forme d’absolu, tant qu’elle est créatrice elle n’est pas la folie.

Carrare et son amant finissent du mauvais côté du crime, la loi des hommes doit les arrêter, mais qui suis-je pour les juger…

L’amant de Carrare est un écrivain français. Je suis bien tentée de vous demander si votre compagne est  une artiste… J’opte plutôt pour cette question : des amants qui vivent de leur art peuvent-ils s’aimer sans se détruire ?

Ma compagne qui est ma femme est une déesse Sibérienne, belle comme la nuit, instinctivement jalouse, mais non elle n’est pas artiste. Elle prouve ma folie personnelle parce qu’elle a 23 ans de moins que moi, mais c’est une folie qui trouve sa source dans l’amour et donc je me pardonne.

L’art à  sa part dans ma vie sous beaucoup d’autres prismes. Il m’a créé tout autant que les marionnettes de Carrare, puisque mes parents étaient tous deux peintres ou sculpteurs et qu’ils se sont rencontrés dans une école d’art, à Paris où seule cette passion commune pouvait les attirer, l’une de Shanghai et l’autre de Brest. Côté chinois, beaucoup d’autres peintres, poètes, calligraphes dans cette lignée. « Des amants qui vivent dans leur art peuvent-ils s’aimer sans se détruire ? » me demandez-vous. Mes parents ne se sont pas vraiment détruits mais ils n’ont pas non plus prouvé le contraire. Adolescent, j’ai souvent pensé qu’ils auraient mieux fait de se quitter. Je me trompais peut-être d’ailleurs et je ne suis pas propriétaire de leurs choix. Mais pour revenir aux Hommes suspendus, jamais l’écrivain ne cherche à détruire sa femme artiste. Son amour blessé entre en compétition avec elle pour pouvoir la rejoindre, s’en faire aimer. La jalousie l’aiguillonne, elle ne tue pas l’amour. Au contraire.

Vous dirigez la Vénus Littéraire, un site dédié à l’érotisme et chroniquez dans la rubrique  littéraire L’enfer du magazine L’Obs.  Le sexe et le désir érotique sous-tendent  la narration des Hommes suspendus. Pourquoi ce goût pour l’érotisme et le sexe en littérature ?

La Venus Littéraire n’est pas dédiée à l’érotisme mais à la Littérature, l’érotisme et l’idéal. C’est bien cette triple dimension qu’elle vise et que je revendique pour ce magazine. Mais l’humain est souvent trop fragile et visant l’idéal, son coup de fusil vers la lune, tiré au jugé pendant un mariage, abat un innocent à deux kilomètres ou un être aimé.

Le sexe est la première mission pour laquelle toute espèce vivante est programmée. Si vous n’êtes pas un organisme mono cellulaire, et je ne le suis pas, c’est une pulsion enfouie sous vos tripes, c’est une obsession ancrée dans votre cerveau et que vous vous cachez plus ou moins.

J’ai cela d’étrange, quoi qu’étant très maîtrisé et rationnel, je crois le plus en la déraison et l’idéal. L’érotisme appartient à ce second monde et s’il ne me traversait pas, avec toute sa force perverse, je serais très ennuyeux et très ennuyé.

Je n’ai pas dit que l’érotisme doit dominer nos actions, mais le nier n’est qu’un mensonge qui, à mes yeux, n’est pas pieux mais impie. Mieux vaut le marier à l’amour, la littérature ou l’art.

En quoi diffère  l’expression de l’érotisme chinois de l’occidentale ? Y-a-t’il en Asie un autre rapport au corps et au désir ?

Parfois j’entends dire que l’être humain est le seul animal à avoir inventé la passion et les perversions. Pour le meilleur et pour le pire, je n’y crois pas un instant. Je crois que des forces souterraines traversent toutes les espèces animales et humaines, souvent avec les mêmes racines. Alors, des différences fondamentales entre des pedigrees différents de la même espèce, humaine en l’occurrence, dans ce qu’ils ont de plus profond, n’y comptez pas… Les fantasmes et les perversions humaines sont universels, les différences culturelles ne changent que la cape que l’on jette dessus pour les tenir secrets, ou le ruban dont on les habille. C’est une bonne nouvelle. Vous pouvez chercher vos complices partout où la vie vous mène !

Propos recueillis par Anne Bert

Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à la présentation du roman

Des hommes suspendus de Tang Loaëc

 


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